On ne va pas se mentir: je n'écris pas cette chronique comme d'habitude, assis à mon bureau, le postérieur engoncé dans une chaise ergonomique achetée l'an dernier au Ikea du coin.
Non, tel un soldat blessé au front et jeté comme un rebut sur un brancard de fortune, je gis de tout mon long sur mon canapé d'ailleurs lui aussi acheté au Ikea du coin, vaincu
, mille fois vaincu par une crise hémorroïdaire qui l'autre soir a jeté son dévolu sur cette partie de mon anatomie où se joue d'ordinaire la petite cérémonie d'adieu à des aliments indignes de loger plus longtemps dans mes intestins. (Le trou de balle pour le demeuré de service égaré dans cette logorrhée verbeuse).
Depuis je souffre le martyr.
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Je souffre du matin au soir, je passe mes nuits à croiser, décroiser, entrecroiser mes jambes; quand je trouve la force de me déplacer, j'ai la démarche lourde et pesante d'une hippopotame ménopausée, je me traîne de mon lit au canapé, du canapé à mon lit, d'une extrémité de mon lit à une autre, je n'ai plus goût à rien et je passe mes journées à maudire ma mère de m'avoir transmis ainsi cette passion pour les envolées hémorroïdaires –le prix à payer pour avoir avalé de pleines cuillerées de harissa pendant des générations et des générations.
Je hais mes hémorroïdes, je les hais de tout mon cœur (et de tout mon cul aussi), je ne crois pas qu'il existe en ce bas monde chose plus inutile, insignifiante, nuisible que ces coussinets-là, ces caillots de sang durs au toucher qui, suite à je-ne-sais quel mouvement d'humeur, s'amourachent de mon fondement au point de venir le décorer de leurs hideuses et indestructibles carapaces.
Au niveau de la douleur ressentie, c'est l'équivalent d'une rage de dents mais en bien plus sournois: aucune noblesse, aucune grandeur dans cette souffrance-là, juste l'humiliation d'avoir à vivre avec des excroissances teigneuses et belliqueuses qui tancent le corps de picotements éruptifs d'une cruauté féroce.
Surtout, maladie infamante s'il en est!
Impossible de révéler la nature de son mal sans déclencher sarcasmes, rires gras, moqueries, plaisanteries douteuses, réparties grossières : les hémorroïdes n'ont pas bonne presse, elles se vivent dans la réclusion et dans le silence, dans la pénombre d'une chambre à coucher, parmi la floraison de pommades toutes aussi inopérantes les unes que les autres.
De ces pommades grasses, odorantes, collantes dont on badigeonne l'objet de son mal, dont on tartine les contours, qu'on ensevelit sous des couches d'onguent sans en ressentir un quelconque bienfait si ce n'est un bref soulagement bien vite supplanté par une nouvelle salve de flèches tirées par ces bourgeons de malheur.
Unique consolation: ne point être le seul à se retrouver dans cette situation.
Ayant passé des heures sur internet à demander si mes hémorroïdes pouvaient être battues ou combattues, j'ai découvert un nombre infini de sites consacrés à cette infirmité culière: stop aux hémorroïdes, halte aux hémorroïdes, les hémorroïdes arrière toute, les hémorroïdes sans moi, jamais sans mes hémorroïdes, une hémorroïde et puis c'est tout, vie et mort des hémorroïdes...
Recherche qui m'a occupé une grande partie de l'après-midi entre les remèdes de grand-mère –du roquefort à la vapeur, de la confiture de baleine, du savon de Montélimar, des glaçons au micro-ondes–, les avis des uns et des autres sur la cruciale question de prendre un bain froid, tiède ou chaud...
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